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Dette professionnelle. Suite et fin ?

Gérant majoritaire - cotisation sociale - nature juridique

Dette professionnelle ou personnelle: Oui et non.

 

En matière de sécurité sociale, l’affiliation du gérant majoritaire d’une SARL, d’une SELARL, d’une EURL, est obligatoire.

Il doit donc régler ses cotisations auprès du SSI (ex RSI), ces dernières étant recouvrées par l’URSSF.

À l’occasion du recouvrement, et en cas de poursuites, l’URSSAF peut-elle poursuivre personnellement le gérant majoritaire sur ses biens personnels ?

Suite à un avis de la Cour de cassation, en date du 8 juillet 2016, le gérant majoritaire paraissait pouvoir prétendre à l’insaisissabilité de son patrimoine privé, le mettant ainsi à l’abri de toute poursuite sur ses biens personnels.

Sa dette de cotisations devait, selon cet avis, s’analyser comme une dette professionnelle (et non personnelle).

► Dans cet avis du 8 juillet 2016 la Cour de cassation faisait l’analyse suivante :

               « Destinées à pourvoir au financement du système de sécurité sociale, les cotisations et contributions recouvrées par les URSSAF auprès des gérants majoritaires de SARL sont par nature diverses. Cependant, assises sur le revenu de l’activité     professionnelle au sens de l’article L 131-6 du code de la sécurité sociale, et versées   au titre d’une activité professionnelle selon la définition donnée par la Cour de cassation (2eme civ. 8 avril 2004 pourvoi n° 03-04 013), ces cotisations et       contributions revêtent un caractère de dette professionnelle pour l’application du livre VII du code de la consommation. »

          Quelques temps plus tard, cette même de Cour de cassation, par un arrêt en date du 13 octobre 2016 (2eme civ n° 15 24 301) jugeait que:

            « pour déclarer irrecevable la demande de traitement formée par M. X..., le juge du tribunal d'instance retient que M. X... exploite directement une EURL et, qu'étant associé unique et dirigeant de fait de cette société commerciale inscrite au registre du commerce et des sociétés, il réalise des actes de commerce ;

            « en statuant ainsi, alors que la seule qualité d'associé unique et de gérant d'une   entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée ne suffit pas à faire relever la personne concernée du régime des procédures collectives et à l'exclure du champ d'application des dispositions du code de la consommation relatives au surendettement des particuliers, le jugement a violé les textes susvisés ;

            Ainsi les cotisations versées par le gérant unique d’une EURL se trouvaient-elles considérées comme étant assises sur le revenu d’une activité professionnelle directement attachée à celle de l’EURL, ne revêtant pas, dès lors, une nature personnelle attachée à une activité propre, exercée par le gérant.

► Cependant, l’avis du 8 juillet 2016, et cet arrêt du 13 octobre 2016 de la Cour de cassation, n’ont pas été suivis par les cours d’appel à telle enseigne que la cour d’appel de Reims, par une décision du 12 septembre 2017, a laissé clairement entendre que les cotisations RSI sont dues par le gérant, sans égard à l’activité de la société : les cotisations seraient donc de nature personnelle et non professionnelle.

Par cet arrêt, outre l’incertitude relative à la nature des cotisations, se greffait celle relative aux poursuites éventuelles des organismes de recouvrement :

  • - ou bien, les cotisations du gérant majoritaire (de SARL, de SELARL, d’EURL et autres dirigeants sociaux) ont une nature personnelle, et comme tout commerçant, il peut être poursuivi sur ses biens personnels et mis en liquidation.
  • - ou bien, les cotisations du gérant majoritaire ont une nature professionnelle, et il ne peut pas faire l’objet d’une mesure de redressement ou de liquidation

            La Cour d’appel de Reims, qui laissait planer l’incertitude, a levé cette dernière, dans un sens inattendu, mais finalement favorable – en principe - au gérant majoritaire de SARL.

►Cette dernière a, en effet, rendu un arrêt, en date du 26 juin 2018, (sur renvoi, il convient de l’indiquer, de la Cour de cassation, RG 17/029081 ; URSSAF Lorraine / X, qui avait cassé un arrêt rendu par la cour d’appel de Nancy en date du 17 juin 2015), qui éclaire de façon, semble-t-il définitive, la question (p.4, premiers§) :

               « ...ces gérants, non salariés, ne peuvent faire l’objet, à titre personnel, d’une procédure collective, dès lors qu’ils     exercent cette activité au nom et pour le compte de la société qu’ils gèrent. Ainsi le fait que Monsieur X soit             éventuellement redevable de cotisations sociales envers l’URSSAF ne le rend pas automatiquement susceptible d’être placé en redressement judiciaire…

              « … aussi n’avait-elle (l’URSSAF) aucun intérêt à agir contre lui en redressement judiciaire, puisqu’il n’était pas susceptible d’être placé en redressement judiciaire, ne faisant pas partie des personnes énumérées à l’article L631-2 précité… »

 

►Au regard de cette situation venant confirmer la position la Cour de cassation, il semblait définitivement acquis que ces cotisations et contributions (du gérant majoritaire) revêtaient le caractère de dette professionnelle pour l’application du livre VII du code de la consommation, puisque « versées au titre d’une activité professionnelle » (celle de gérant majoritaire) et non au titre d’une activité propre et personnelle.

Les cotisations sociales du gérant majoritaire pouvaient dès lors être considérées comme ayant une nature professionnelle, c’est-à-dire directement liées à l’activité même de la société.

Mais plusieurs arrêts de cours d’appel sont successivement revenus sur cette interprétation en indiquant que la créance de cotisations de sécurité sociale du gérant n’a pas à être déclarée au patrimoine d’une personne qui n’est pas le débiteur de la procédure collective.

En d’autres termes, la créance de cotisations de sécurité sociale aurait bien une nature professionnelle, mais conserverait, en ce qui concerne son recouvrement, une nature personnelle !

En ce sens :

  • - cour d’appel de Rion, par un arrêt en date du 2 juillet 2019 qui a estimé que l’avis de la Cour de cassation du 8 juillet 2016 :

« ne vise nullement l’hypothèse de la liquidation judiciaire d’une société et la prise en compte, ou non, au passif de cette société en liquidation, des cotisations de son gérant… »

D’autres cours ont rendu des arrêts identiques ; cour d’appel de Nîmes, 21 juin 2018 (RG 17/04237), cour d’appel de Metz, 23 septembre 2019 RG (18 /01250).

►En d’autres termes, la liquidation judiciaire de la société n’emporte pas la liquidation des cotisations de son gérant.

Le cotisant, certes, ne peut plus être l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire et cette dernière ne peut pas être étendue à sa personne.

Mais l’URSSAF se trouve en droit de procéder au recouvrement de sa créance sur la personne même du cotisant, en prenant toutes garanties à son encontre.

Dès lors, bien que revêtant une nature juridique professionnelle, la créance du gérant majoritaire demeure une créance de nature personnelle !

Cette situation - d'une transparence assez douteuse -  emporte finalement un risque particulièrement élevé pour le débiteur qui, poursuivi dans le cadre d’une procédure de surendettement (dettes privées) peut voir ses dettes professionnelles (dont plus spécialement sa créance de cotisations sociales) continuées d’être exigibles, puisque seules les dettes privées, dans le cadre de cette procédure, se trouvent effacées.

Le législateur semble, pour partie, avoir perçu cette difficulté ; en effet, la loi 2020-734 du 17 juin 2020, relative aux suites du COVID 19, vient heureusement de prévoir dans son article 39 une modification du code de la consommation avec, désormais, pour le rétablissement personnel sans liquidation, effacement de toutes les dettes professionnelles et non professionnelles (pas de limitation de date).

            Désormais, l'article L742-22 du code de la consommation dispose :

« Article L742-22

Modifié par LOI n°2020-734 du 17 juin 2020 - art. 39

"La clôture entraîne l'effacement de toutes les dettes, professionnelles et non professionnelles, du débiteur, arrêtées à la date du jugement d'ouverture, à l'exception de celles dont le montant a été payé en lieu et place du débiteur par la caution ou le coobligé, personnes physiques. »

            Ainsi les dettes professionnelles, comme les dettes privées, sont-elles effacées.

Le surendetté retrouve la libre disposition des biens qui n'ont pas été vendus et peut exercer ses droits et obligations sur son patrimoine restant.

►Cependant cette solution demeure très imparfaite puisque seules les dettes privées entrent dans le champ du surendettement (des particuliers !).

Or, comme indiqué plus haut, les cotisations de sécurité sociale du gérant majoritaire sont, au terme de la dernière évolution jurisprudentielledes, des dettes de nature professionnelle.

Il faut donc considérer que le gérant, pour espérer voir effacer ses dettes professionnelles, à l’issue d’une mesure de surendettement, devrait se trouver dans une situation où son « activité privée » le mettrait dans un état susceptible d’envisager une telle mesure.

Au regard de cette situation devenue particulièrement inconfortable, une proposition de loi nº 1854 « tendant à garantir la situation économique personnelle des gérants de petites et moyennes entreprises endettés vis-à-vis du régime social des indépendants en situation de liquidation judiciaire » a été présentée à la présidence de l’Assemblée nationale le 10 avril 2019.

Elle permettrait de clarifier le statut des créances résultant des cotisations des travailleurs indépendants, qui devraient être traitées comme des dettes professionnelles et qui devraient, dès lors, être déclarées, auprès de l’administrateur judiciaire chargé de la liquidation de la société, afin qu’elles soient effacées, si la liquidation devenait effective, au terme de cette mesure.

Il faut espérer que la proposition dont s’agit retiendra assez rapidement l’attention de la commission des affaires économiques devant laquelle elle a été renvoyée, pour, enfin, donner une solution susceptible d’apaiser les incertitudes entretenues depuis de trop nombreuses années, et  apporter, si faire se peut, un peu de transparence dans un domaine qui en manque tant.

Mais depuis le 10 avril 2019, rien n’a changé.

.                                                                                             (Le 1er mars 2023)

 

 

 

 

 

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